Réalisé par l’OBV Lac-Saint-Jean

C’était demain, il y a vingt ans, au Lac-Saint-Jean

L’eau en 2039 : un saut dans le futur.

Célébrer un anniversaire

Dam-en-Terre, 29 août 2039

« Bonjour à tous, bienvenue, et surtout merci d’être là, en cette belle journée de fin d’été, pour célébrer avec nous les trente ans de l’Organisme de Bassin Versant Lac-Saint-Jean.

Il y a vingt ans jour pour jour, nous nous retrouvions ici même, au bord de ce lac, à la Dam-en-Terre. Le lieu n’a pas tellement changé, ou peut-être est-ce ma mémoire? En tous cas, il a moins changé que nous, mes chers amis! Le barrage est toujours là, turbinant l’eau brune pour produire une énergie propre et si la marina n’accueille presque plus de bateaux à moteur thermique, elle reste bien achalandée.

Penser que nous étions là il y a vingt ans à imaginer l’avenir et préparer celui de nos enfants me donne le vertige. Quand on pense à dans vingt ans, tout nous paraît lointain, presque inaccessible, pourtant c’est venu si vite!

Vous souvenez-vous de cette belle journée ensoleillée? Nous pouvions voir le lac scintiller au travers des grandes baies vitrées. Ce jour-là, nous étions un peu plus d’une soixantaine de personnes, réunies pour les dix ans de l’organisme. Il y avait des élus municipaux, des représentants de MRC ou d’associations de riverains, des membres de comités de bassin versant, de groupes environnementaux ou d’industries, des agriculteurs et des employés de ministères. Nous étions tous impliqués pour préserver notre ressource en eau, nos écosystèmes, bref, nos milieux de vie.

Vingt ans après, tous ne sont plus là. Certains ont pris leurs retraites, comme je m’apprête à prendre la mienne bientôt. D’autres ont tout simplement changé de profession ou sont allés vivre ailleurs. Je reconnais quelques visages cependant, et c’est à eux que je veux m’adresser plus particulièrement. Pour les remercier d’être toujours là, tout d’abord, et pour leur demander de se souvenir avec moi de cette journée-là.

Le 29 août 2019, nous vous avions proposé un exercice de créativité. C’est une compétence essentielle, la créativité, et on la mobilise souvent trop peu quand, comme nous tous ici, nous avons des responsabilités. Nous passons beaucoup de temps dans les chiffres, les données de terrain. Il nous faut composer avec différentes contraintes, être réalistes. Pourtant, il faut savoir aussi imaginer l’avenir, pour mieux ensuite le faire exister. C’est ce que nous vous avions proposé il y a vingt ans: imaginer en groupe de six ou sept, à partir de trois scénarios, notre bassin versant, en 2039.

Alors voilà, nous y sommes! Et aujourd’hui, pour débuter notre trentième rencontre annuelle, je vous propose de redécouvrir notre bassin versant, tel que nous l’avions imaginé alors… »

Guillaume en vacances - La plus belle des mers intérieures

Victoriaville, 29 août 2039, 15h32

Ma fille Noémie vient de claquer la porte de sa chambre, les vacances sont bien finies cette fois. Elle est retournée à son univers de jeux électroniques et de réseaux sociaux. C’est correct ! Le contrat, c’était d’oublier un peu tout ça pendant nos vacances et à présent nous sommes de retour à Victoriaville, notre chez nous, notre quotidien.

Le voyage s’est bien passé. Le train, c’est confortable, on va se le dire, et puis ça va vite. Quand j’étais enfant, ça nous prenait près de cinq heures pour descendre à Saint-Gédéon. S’il n’y avait pas eu la demi-heure d’attente à la gare de Québec, nous aurions fait ça en moins de deux heures. Demain, ce sera plus rapide encore avec les drones de passagers. Ceux que nous avons vus à Alma la semaine dernière sont impressionnants en tous cas, et ils ne consomment presque pas d’énergie. Le rêve qui nous animait pendant mes études à Poly est devenu réalité. Je regrette un peu d’avoir quitté l’aéronautique, finalement.

Je pensais impressionner Noémie avec ces bébelles, ça n’a pas tellement fonctionné. Ce qu’elle a préféré, c’est de faire le tour du lac Saint-Jean à vélo. Elle a passé beaucoup de temps à rouspéter et critiquer ce projet, mais finalement elle a aimé ça pédaler et dormir sous la tente. Quand j’étais jeune, il n’y avait pas tant d’accès publics à l’eau. Ça a bien changé. On a pu passer presque toutes nos soirées sur les plages. Ce sont de beaux souvenirs que je regarde sur mon cellulaire, installé sur le divan. Je me demande si dans sa chambre Noémie fait la même chose. Elle aussi a pris des centaines de photos de couchés de soleil et de pêcheurs à la traîne qui sillonnent le lac dans leurs embarcations légères.

Et puis il y a des photos de moi, en costume de bain, pelle en plastique à la main et qui fait des châteaux de sable ou des barrages. Autant que je m’en souvienne, on trouvait beaucoup de déchets sur les plages au début de l’été, ce n’est plus le cas à présent. Et puis il y a beaucoup moins de bandes riveraines rasées qu’à l’époque. C’est agréable, les rives du lac ont retrouvé une allure plus naturelle avec une végétation fournie. Les maisons et les routes sont un peu plus cachées à la vue quand on est au bord de l’eau, et il y a moins d’érosion. Les plages sont plus belles.

J’espère que Noémie conservera longtemps ses photos prises pendant nos vacances. Qui sait? Dans vingt ans peut-être, elle aussi aura plaisir à les comparer avec celle qu’elle aura prise avec ses enfants.

La visite guidée de Keven - Roberval, un modèle pour tous

Roberval, 29 août 2039, 6h28

Keven s’est levé tôt ce matin, peut-être même un peu trop tôt. C’est la nervosité! Il s’est rasé de près, a enfilé sa plus belle chemise et pris la route de l’aéroport de Roberval. Depuis, il fait les cent pas dans le hall d’attente. Les autres ne sont pas encore là, mais ce n’est pas grave. Il a besoin de bouger un peu avant que l’avion n’atterrisse. La dernière fois qu’il s’était senti aussi nerveux, c’est lorsqu’on lui avait livré sa première débusqueuse il y a vingt ans. À l’époque, jeune entrepreneur forestier, il s’était senti très excité en voyant le camion qui transportait sa grosse machine neuve, mais il était bien nerveux aussi à l’idée de toutes les dettes qu’il s’était mis sur le dos. Et bien aujourd’hui, c’est exactement comme cela qu’il se sent! Excité et nerveux. Dans moins d’une heure, des élus d’un peu partout dans le monde vont débarquer de leur avion pour une visite de la municipalité modèle de Roberval.

Tout est prêt. Par les grandes baies vitrées, il peut voir le bus électrique qui attend sur le stationnement végétalisé. Ça n’a l’air de rien, mais un bus électrique, c’est en quelque sorte un bus qui roule à l’énergie du lac! Les autres élus municipaux de Roberval ne sont pas encore là, mais ils viendront bientôt. Ils seront accompagnés de représentants d’associations de riverains.

En fait, ce n’est pas la première fois que Keven participe à ce genre de visite. Il en est à son troisième mandat! C’est la première fois en revanche qu’il a été chargé par le conseil de l’organiser et c’est ça qui le met sur les nerfs. Et puis, il y a du nouveau cette année! La municipalité a achevé la dernière phase de travaux pour l’usine de traitement des eaux usées ultra moderne. Roberval est la première municipalité du Québec à retourner dans les aqueducs plus de la moitié de l’eau utilisée. C’est fou quand on y pense! L’eau restante est acheminée vers de vastes marais artificiels qui filtrent naturellement l’eau avant de la rejeter dans le lac. Résultat, moins de deux pour cent des déchets organiques et chimiques qui étaient rejetés il y a vingt ans le sont encore aujourd’hui. Voilà qui va beaucoup impressionner les élus venus d’un peu partout dans le monde et dont la préservation de l’eau potable est le principal enjeu.

Chez eux, ils font face à de tels problèmes qu’ils cherchent désespérément la solution miracle et pensent la trouver à Roberval. Pourtant, Keven le sait bien, ce n’est pas cette usine qui est l’innovation la plus remarquable. Le secret de la municipalité, ce sont ses citoyens qui ont su mettre en commun leurs efforts et c’est surtout de cela que Keven veut parler.

Après la visite de l’usine, il va les emmener marcher sur les rives du lac. Il veut que ces élus, venus de grandes villes hérissées de tours de gratte-ciel voient la fierté de sa petite ville. Il veut qu’ils voient les stationnements végétalisés, les bandes riveraines fournies, la place de la traversée et la marina où les villégiateurs nettoient consciencieusement les coques de leurs embarcations. Surtout, il veut qu’ils s’arrêtent jaser avec les gens qui marchent sur le bord de l’eau ou pêchent. Il veut qu’ils voient à quel point chacun a su prendre ses responsabilités pour protéger les berges et restaurer les milieux humides riverains. Parce que c’est ça qui a été le plus difficile pour les élus. Chercher des financements, monter un budget, embaucher des firmes d’ingénierie, c’est une chose; réunir tous les citoyens et travailler avec eux à changer les habitudes, s’en est une autre

Il y a vingt ans, tout le monde voulait une pelouse bien tondue qui descendait jusqu’à l’eau, au risque de voir son terrain ou sa plage grignotés par les eaux du lac. Lui-même ne faisait pas autrement. Les règlements sur les rénovations des installations septiques n’étaient pas populaires, vraiment pas! La municipalité faisait face à toutes sortes de problèmes liés à l’eau: prolifération des plantes aquatiques, drainage des zones humides par des particuliers, accessibilité difficile à l’eau pour les citoyens, inondations et bien d’autres enjeux qui paraissaient alors presque insolubles.

Pour les résoudre, il a fallu faire naître la conscience que le maintien de la qualité de l’eau et de son accessibilité était une responsabilité collective et ça, ça n’a pas été facile! Roberval y est arrivé pourtant et Keven sait que, plutôt que de l’entendre de la bouche d’un conseiller municipal, les élus du monde entier voudront l’entendre de la bouche de ses concitoyens et des représentants d’associations. Les voilà, d’ailleurs! Deux représentants de riverains entrent justement dans le hall, pile à l’heure. Le comité d’accueil est réuni et l’avion déjà apparaît au loin. Ça va être une belle journée, Keven le sait, mais allez savoir pourquoi, il se sent de nouveau nerveux. Excité, mais nerveux…Les voilà, d’ailleurs!

Anna et ses alliés : L'histoire d’un lac sauvé

Anna repose sa tablette sur la table de jardin. Elle n’aime pas trop lire les nouvelles, ça la déprime parfois, elle préfère contempler son lac.

Quelques canards barbotent plus loin et caquettent. C’est un brouhaha bien plus apaisant que les rumeurs venues du vaste monde.

Ce petit chalet hérité de son oncle en 2019, c’est la meilleure chose qui lui soit arrivée dans la vie ! Au début, ça ressemblait davantage à une plaie pourtant, lorsque la municipalité s’est tournée vers elle pour lui réclamer les taxes non payées. Ce chalet, elle n’en voulait pas! L’eau n’était pas baignable à cause des algues bleues-vertes et de toute manière l’eau était tellement trouble que même sans avis municipal, elle n’aurait pas voulu s’y tremper les pieds. Et puis il y avait tellement de rénovations à faire, à commencer par l’installation septique à changer. Elle avait donc essayé de le mettre en vente, mais après quelques années, le chalet n’avait toujours pas trouvé preneur. Elle avait dû se résoudre à payer les taxes municipales ou à l’abandonner.

Un bruit venu d’un peu plus loin la tire de ses rêveries. C’est un nouveau voisin qui est en train d’abattre un arbre sur le bord de l’eau. Anna l’a vu deux ou trois fois seulement. C’est un jeune homme énergique qui a décidé de rénover à son tour une bâtisse. Voilà la rançon du succès! Comme Anna ne voulait pas abandonner la maison de son oncle pour quelques centaines de dollars de taxes impayées, elle avait fini par s’acquitter de ses dettes et investi ses économies dans la rénovation du chalet. C’est alors que des voisins étaient venus la rencontrer. Ils n’étaient plus nombreux à l’époque à vivre encore à l’année au bord de ce lac effilé, de 5 km de long. Ils s’étaient réunis en un petit groupe de riverains pour essayer de faire bouger les choses et d’améliorer la qualité de l’eau. Ils avaient toutes sortes de projets un peu fous, comme établir un règlement local pour empêcher la destruction des bandes riveraines et encourager leur revégétalisation, rénover les installations septiques, réduire les travaux d’excavation, ce genre de choses… 

Anna ne venait que quelques semaines par an au chalet à l’époque, principalement en automne. S’adapter à ces règlements n’a pas été si difficile pour elle.

Au début, Anna n’était pas très chaude à l’idée. C’est venu doucement, à force de fréquenter ces gens qui avaient de bien curieuses idées. Elle les accompagnait parfois sur le lac pour échantillonner l’eau et ça se terminait souvent sur le terrain de l’un ou de l’autre autour d’un barbecue.

Un voisin venait tondre sa pelouse de temps en temps, il laissait quelques mètres d’herbes folles sur les berges qui sont devenus de beaux arbres depuis. Ce n’est que depuis deux ans, quand elle a pris sa retraite, qu’Anna est venue habiter à temps plein au chalet.

D’autres ont fait le même choix d’ailleurs, et le prix des maisons a beaucoup augmenté, mais Anna ne veut plus vendre. Le problème, c’est que le lac attire à présent de nouveaux venus qui n’ont pas encore pris de bonnes habitudes. Il faut faire preuve de patience et de pédagogie, aussi Anna se lève et traverse son terrain pour aller trouver son nouveau voisin.

— Tu te lances dans de nouveaux travaux?, elle demande. 

L’autre acquiesce et explique qu’il veut se faire un gazebo pour que sa famille et lui puissent dîner dehors au bord de l’eau, sans trop être incommodés par les mouches.

Anna comprend ça, elle-même aime beaucoup recevoir ses petits enfants au chalet. On veut toujours que tout soit parfait, même quand à force de perfection, on finit par perdre son accès à l’eau. C’est ce qu’elle lui dit et elle lui raconte combien la qualité de l’eau du lac était mauvaise autrefois, au point qu’on ne pouvait pas laisser les enfants se baigner.

— C’est pour ça qu’on s’est doté de règlements, elle dit. On est tous solidaires autour de ce lac.

Bien sûr, le nouveau voisin pourrait contester et se battre contre le conseil. Ces règlements sont contraignants: pas de bateaux à moteurs, obligation de revégétaliser les berges, quais flottants et bien d’autres choses.

— Honnêtement, explique Anna, personne ne te traînera en cour si tu ne le fais pas, on espère juste que tu seras de notre bord. Le lac, c’est ton bien à toi aussi.

Le jeune gars n’a plus dit un mot. Il regarde autour de lui. Il y a le lac avec ses longues berges sauvages et les canards qui sont revenus maintenant que la scie à chaîne ne grogne plus. Il y a son chalet et son terrain en pente. Il regarde le cran un peu plus haut, à mi-chemin entre sa maison et la bande d’arbres qui bordent la rivière.

— C’est sûr que je pourrais mettre le gazébo sur le cran, dit-il. Au moins je suis sûr que ça ne bougera pas là-dessus.

Anna sourit, elle sait que le lac aura un nouvel allié.